Caché derrière mes lunettes noires, je sirote une grenadine, baignant dans le soleil, sur une terrasse d'un café. Un café à la française hors de prix au pays des hamburgers. Mes yeux parcourent d'un oeil distraits les colonnes du New-York Times. Ce journal est réellement énorme !
Sur ma tête un chapeau. Du genre que l'on portait encore dans les années cinquante. Mais non, je n'ai pas l'air tout à fait ringard avec mon chapeau blanc, ma chemise en lin bleue marine et mon pantalon de flanelle beige. Je dirais même plutôt chic, la veste beige négligeamment jetée sur l'épaule. Je laisse cinq dollars de pourboire, la somme requise.
C'est agréable de se sentir puissant dans cette grande ville. De savoir que des tas de gens vous recherche pour vous éliminer. Mais que vous êtes à l'abri. Des ordres à donner de temps en temps depuis une cabine téléphonique, à heure fixe. Ne jamais voir ses intermédiaires, ne se fier à personne. Ils exécutent, ou sous-traitent, comme bon leur semble. Je n'en saurais jamais rien, ce n'est pas mon problème. Je touche l'argent. Puis je redistribue si j'estime que le boulot a été bien fait.
12h34. L'heure fatidique sur ma montre suisse de haute précision. Je compose le téléphone du central de l'Association. Au bout du fil un disque : "Veuillez entrer votre identifiant personnel". Je compose les quatorze chiffres demandés. "N°1 bonjour. Pour consulter vos message, tapez les numéros des alias correspondant. Pour appeler un inscrit sur les listes de l'Association, tapez dièse". Dièse. "Vous allez être mis en contact aec la boîte vocale de l'un des agents de l'Association. Veuillez laisser un message après le bip. Si cette boîte vocale n'est pas consultée dans les 72h, votre message sera redirigé vers un autre agent toutes les cinq heures. BIP". Le message prononcé d'une voix monocorde m'a presque endormi. Le BIP me fait revenir à la réalité et, distinctement, je prononçe "New York Times. Annonce référence 24-48987. Livrez coli à empailleur". Puis je raccroche. Le message sera bientôt décomposé et réenregistré avec une voix de synthèse à la neutralité impénétrable. L'anonyme qui recevra ce message ingnorera qu'il lui a été envoyé par le n°1 en personne. L'anonymat est le secret de la réussite de l'Association. Si le livreur de coli échoue, il ne pourra dénoncer personne, lui seul tombera et l'Association sera préservée. Indéfiniment.
Cette idée de l'Association m'es venue alors que j'étais encore jeune. Petit pirate malin sur le réseau, j'avais envie de grandeur. Pas de rester éternellement scotché derrière un écran. Alors j'avais eu l'idée de créer ce petit logiciel. Le nom -Association- m'était venu comme ça et me semblait convenir parfaitement au but que je lui avais fixé : être le moteur d'une association, de l'Association. Un concept simple tout d'abord au service d'un jeu : pouvoir faire communiquer les gens anonymement sans que personne ne puisse jamais deviner qui est qui, même pas moi. J'avais déjà pris mes précautions. Quiconque pourrait accéder à mon compte aurait été gagnant. Non, il ne le fallait pas. Certes j'étais le n°1 mais il me faudrait le garder pour moi.
Le logiciel fonctionnait très bien sur ma machine-serveur, les gens s'y connectaient, échangeaient, et, tel était le but du jeu, acquièrait du pouvoir en effectuant des missions, l'utilisaient pour acheter des territoire, acquérir encore plus de pouvoir, et finalement dominer le monde.
Puis le jeu s'était arrêté. Stupidement parce que l'on m'accusait de prendre trop de bande passante et l'on me recommandait de souscrire à un hébergeur payant. Mais jeune et sans le sou, je préférais arrêter l'expérience. Enfin pas tout à fait.
Je m'attelais à la création d'une nouvelle version de Association. Une version virus. Lancée sur le net elle se répandrait dans plusieurs millions d'ordinateurs à travers le monde. Codée de façon à ce que chaque virus crée trois virus fils, s'incruste dans l'ordinateur à jamais, soit évolutive, indétectable par les antivirus et possède sept liaisons avec d'autres virus. Une vrais gageure. Mais après trois ans de travail acharné entre deux cours à l'université en mathématiques fondamentales (matière dont j'étais professeur titulaire) j'y suis enfin parvenu. Le système parvenait même à se mettre à jour en trois bonnes heures malgré les 23 millions de virus répandus. Un petit délai en somme. Mais non négligeable. Peut-être aujourd'hui encore la seule faille de l'Association. Mais les mises à jour étaient très peu fréquentes ce qui réduisaient d'autant les risques de détecter la Source. Ce qui d'ailleurs n'a plus grande importance aujourd'hui. Puis que la Source est mon ordinateur portable et que je le connecte où bon me semble. Sur une ligne téléphonique de Patagonie si cela me chante.
J'avais une copine à l'époque. A qui je n'ai rien dit. Puis qui a commencer à poser des questions sur mes nuits passées devant un écran noir empli de caractères blancs. Elle est finalement devenue n°2. C'était amusant au début. On communiquait sur le réseau totalement anonymement. Par écrit d'abord. Les messages étaient stocké par bribe de 200ko sur chacun des 23 millions d'ordinateurs. Soit un peu plus de 4 tera-octets de données. Et le réseau s'agrandissait jour après jour. Puis j'ajoutais un synthétiseur vocal et l'Association put être jointe par téléphone. Très pratique. Et toujours anonyme.
C'est alors que je décidais de franchir le pas. Je passais une annonce dans Le Monde, Le New York Times, le Japon-Yomiuri et quelques autres encore. L'annonce était simplement libellée : "Rejoignez l'Association" suivie du numéro de téléphone. Plusieurs centaines de personnes appelèrent. Tous furent contactés et un peu moins d'un dixième accepta de prendre part à une organisation secrète. C'était amplement suffisant. Alors les premiers coups commencèrent. Des choses minimes : pressions sur des personnes génantes, raid punitifs aux domiciles de traître etc... Rien de bien excitant en somme.
Alors avec n°2 nous avons décidé de jouer. Pour de vrai. Le but ? Eh bien, il était simple. Conquérir le monde.
Alors tout à commencer à bien tourner. Des choses bien plus graves ont été commises : corruptions de personnalités politiques de plan mondial, assassinat de personnes d'influance. Tout était bon pour nous. Et nous nous savions invincibles ou presque, cachés le programme Association qui nous garantissait un anonymat complet.
Conquérir le monde, mais également piller de quoi se concocter une vie agréable. Détournement de fond, pillage de banque rien n'était trop petit.
Puis nous nous sommes assez vite rendus compte que tous ces morts ne nous plaisaient pas. Que nos agents, avides d'argent, ne s'en souciaient pas eux. Alors nous nous sommes mis d'accord pour adopter les tout premier principes de l'Association : "pas de sang, que de la classe".
Puis je me suis disputé avec n°2. Elle est partie. Mais elle n'a pas abandonné la partie.
Je contrôle quasiment toute l'Europe et l'Amérique du Sud. Je commence à devenir influent en Amérique de Nord.
Elle, elle possède le Japon, la Chine, l'Australie et quelques pays par ci par là. Pays épars, mais suffisament pour être une conccurente redoutable.
Parfois, je me demande si je ne l'aime pas encore.