Dire et faire dire

May 7, 2011

Stéphanie tourne la tête brusquement vers la droite, en pinçant les lèvres, la pupille de ses yeux disparaît de mon champs de vision - je suis trop à gauche - sa frange brune se soulève puis retombe sur son front, elle lâche une onomatopée d'agacement. Je sais qu'à ce moment là, elle pense, tellement fort que je l'entends de sa propre voix : « Mais quelle sombre connasse ! ».

Je viens, de manière innocente mais pas du tout innocemment, de mentionner Flavie dans une conversation qui n'a rien à voir. Je ne peux pas m'en empêcher, quand une fille me plaît, que cela semble réciproque ou non, je finis toujours par glisser son nom ça et là, dans l'espoir illusoire que cela fera peser la balance cosmique de l'amour de mon côté. Qu'à force de répéter ce prénom comme un mantra, la pluie va enfin finir par tomber. Ça marche parfois, ça échoue parfois. La méthode scientifique me force à constater que l'indice de corrélation est néant.

Le problème vient probablement du fait que, terrorrisé à l'idée d'être un de ces "gros lourds", je confine la subtilité de ma drague à l'invisibilité absolue, et alors même que je pense déjà en faire trop, je me restreins encore et toujours. Du coup, la moindre annonce tangible un peu brutale (je me penche pour essayer de t'embrasser, par exemple) ne peut que créer un moment de surprise, qui même si il est en potentialité un accord pour poursuivre une relation dans le futur, demande un temps de traitement souvent caractérisé par une légère déviation de trajectoire et colloquialement appelé "vent".

Informer à l'avance, quitte à ne pas être subtil - mais là, est toute la subtilité, justement - c'est s'assurer que celle que l'on convoite sait et agit en conséquence : si elle sait qu'elle vous plaît et qu'à l'inverse vous pas du tout, il est de sa responsabilité de ne pas répondre à vos messages, à ne pas accepter vos rendez-vous. Sauf évidemment à se faire appeler "sombre connasse" par une de vos amies.

Stéphanie me demande ce que je vais faire, du coup. Je réponds que je ne sais pas, que je ne sais pas quoi faire de moi et que peut-être je vais aller faire du vélo. Non, mais avec ton Amie là ? Faire du vélo, je répète.

Finalement, des façons de créer des couples la meilleure reste encore celle que l'on utilisait dans la cour de récréation de l'école primaire, où tout le monde criait "Mathieu aime Sandra ! Mathieu aime Sandra !". Du coup Sandra était au courant et soit elle ne parlait plus jamais de l'année à Mathieu, soit elle s'arrangeait pour venir l'emmerder et lui piquer son ballon pendant qu'il jouait au foot. Ils apprenaient à se connaître puis quand ils constataient que tous les deux aimaient bien les billes chinoises (envers et contre tous - sincèrement, qui aime les billes chinoises ?) allaient se faire des smacks dans le coin sombre du préau.

Je n'ai pas besoin que l'on m'apprenne à discuter, ou que l'on m'arrange des rendez-vous, je sais inventer mille prétextes pour me retrouver en tête à tête avec celle qui me plaît (ou me plaît moins mais est bien jolie, mais elle est un peu bête quand même...), j'ai même appris à tuer ce qui a longtemps été de la timidité et qui plombait mes conversations, je sais occuper une date de cinq heures si c'est nécessaire (parce que la jeune fille doit attendre son train et que l'abandonner serait très mal vu par les règles de la politesse - sauf à vouloir passer pour un sombre connard, option toujours possible).

Je n'ai pas non plus besoin que l'on m'explique que je n'ai aucune chance, je suis lucide et défaitiste, si je ne plais pas du tout, je le sens, je fais avec et je passe à autre chose. Encore faut-il qu'en face on me le fasse sentir. Encore faut-il qu'en face on sache qu'il faut me le faire sentir.

Ce dont j'ai besoin, c'est que la cour de récréation murmure tout bas "Julien aime Flavie !", juste assez fort pour que Flavie soit au courant que je n'ai aucunement l'intention d'être son Ami et agisse en conséquence. Alors je glisse son nom comme un mantra dans l'espoir d'être repris, mais personne ne répète en chœur avec moi, du coup, forcément, la pluie ne tombe jamais.