Ça fait plus de deux ans maintenant que ce marronier des débats de Twitter traîne sur la place publique et que je ne me suis pas exprimé à ce sujet alors pourtant que ça touche au coeur de ce que je fais de mes journées.
Non, il ne s'agit pas du mariage homosexuel. À propos du mariage homosexuel, d'ailleurs, je n'ai jamais eu de vrai avis, sinon un avis corrélatif consistant à m'associer aux gens qui avaient les mêmes valeurs que les miennes. Ou plus exactement me dissocier des gens avec lesquels je n'ai rien en commun. Je me souviens d'un jour où mon père nous a dit, pour nous former à la pensée critique, que si un beau jour de juin ensoleillé Le Pen déclarait que le ciel était bleu, il avait beau être la pire raclûre de notre cher pays, il ne faisait que dire la vérité et nous serions de bien mauvaise foi de le contredire. Mon opinion politique corrélative elle, consiste à dire que, si je suis aveugle et que Le Pen dit que le ciel est bleu, je peux éventuellement le croire. Mais si mes amis du Motel, mes voisins du 11e, les journalistes de Libération et un certain nombres d'autres personnes connues pour leur attachement aux valeurs de la démocratie disent qu'il fait nuit, je suis dans une posture de doute. Évidemment, par attachement à des gens qui me sont proches, je serais un modéré dans la cause de la nuit. Par contre, si, soudainement, la thèse (tout à fait plausible jusque là) que le ciel est bleu est soutenue par des catholiques intégristes, des antisémites, des personnes agées attachées à des valeurs qui ne dureront pas plus loin que leur mort ou des gens qui pensent qu'on peut sauver quoi que ce soit en enfermant ses enfants chez soi, alors, dans ce cas, le doute ne m'est plus possible.
J'étais dimanche chez mes parents à Garches, petite banlieue bourgeoise de l'ouest parisien où je me rends, toutes les sept semaines pour que ma mère rafraichisse ma chevelure à large coup de tondeuse électrique. Je marchais d'un pas rapide vers leur domicile depuis la gare (j'avais une demie heure de retard) lorsqu'un autocollant jaune vif orné d'un oeil stylisé noir frappa mon attention sur la boîte au lettre d'un riverain. Je ne me souviens plus exactement du nom de l'association en question, seulement du slogan "Si je ne suis pas là pour prévenir la police, mon voisin le fera". L'autocollant se répétait de loin en loin le long de l'avenue (oui, il y a des avenues à Garches). Une fois arrivé, je demande à ma mère "alors, y a un comité de voisin nazis qui s'est emparé du quartier ?" - oh, toi aussi tu dis ça ? ton père dit pareil - bah, c'est un peu la blague évidente - ah moi au début, je pensais que c'était bien, je l'avais pas envisagé comme ça...
Quelle est la différence donc, entre les gens qui arborent cet autocollant sur leur boîte aux lettres et que je prends volontairement pour des nazis et ma mère qui ne voit dans cette opération qu'un sympathique mouvement d'entraide de voisinage ? Dans son article aux accents volontairement brutaliste, titiou, journaliste à Slate, affirme que (j'extrapole) ces voisins fiers de l'oeil jaune sur leur portail sont parfaitement au courant des tenants et aboutissants de leurs actes et qu'il faut pas les prendre pour des niais sinon ils auront tôt fait de nous imposer leur vision (pas du tout) sympathique du monde tandis que nous en serons encore à tenter une approche pédagogique. Mais alors quid de ma mère, cette personne tout à fait démocrate qui, si nous ne lui avions rien dit n'aurait pensé que du bien de l'initiative ?
Du Collectif des Voisins Nazis à la NSA il n'y a finalement qu'un pas. Je me suis toujours demandé si les anglais étaient moins sensibles à la vidéosurveillance omniprésente dans leur pays parce qu'ils n'avaient jamais subit les travers autoritaires des régimes dictatoriaux par ce biais. (ma connaissance de l'histoire britannique est cependant lacunaire et j'accepterai tout pointeur qui pourrait corroborer ou infirmer cette pensée facile). Et, qu'à l'inverse, l'Allemagne (et la France dans une moindre mesure) est un foyer de hacker du fait même que l'idée de détourner les moyens de communication est inscrit dans la culture collective. Du coup, est-ce qu'espionner tout le monde c'est un moindre mal quand il s'agit de traquer le terrorisme et de préserver la santé et la vie de quelques milliards de personnes ? (hint : "non, mais")
On en revient au sujet initial de ce texte, avant que je ne digresse sur ces considérations politiques, ce débat qui fait rage sur les internets : tout le monde doit-il apprendre à coder ?
Évidemment, la position, d'un point de vue tout à fait bourgeois, est attractive : le travail est garanti et stable, l'avancement rapide vers des postes à responsabilités et le salaire variant d'attractif à franchement indécent. En 2014, votre gendre idéal, est probablement chef de projet chez Cap Gemini. Il est d'ailleurs l'inspiration derrière ce personnage, dans les publicités, qui se retournent vers vous et, contrairement à Richard Berry qui ne nous vendait que de l'inoffensif yaourt, nous déclare, droit dans les yeux, qu'il "aime sa banque". (réponse : "meurs").
Il y a la question de savoir si c'est facile. J'ai une amie qui, il y a 6 mois ne savait pas faire la différence entre un port USB et un port HDMI et qui, aujourd'hui possède un diplôme de développeur web. Elle débute mais, bien entourée comme elle est, elle va acquérir de la culture, enrichir son vocabulaire et ses méthodes et, à force de coder, elle deviendra coderon. Est-ce à dire, dès lors que coder est facile ? (hint : oui) Mais là n'est absolument pas l'enjeu. Un million d'enfants sortant du CP savent écrire une phrase correcte. Une centaine environ deviendront écrivains (je suis sûr que cyno a une stat plus véridique à ce sujet). Les autres sauront écrire des lettres à la syntaxe relativement correcte pour s'excuser de leur absence au rendez-vous trimestriel de Pôle Emploi (lettre qui leur a été envoyée alors même qu'ils y étaient à ce putain de rendez-vous). Aujourd'hui, la vaste majorité des développeurs informatiques de ce monde écrivent chaque jour des dizaines de milliards de l'équivalent de ces lettres administratives. Et on leur file plein de thune. Aucun n'a d'intérêt à s'arrêter pour écrire de la littérature. Le monde n'a besoin que d'un seul Viaduc de Millau. Par contre, il a besoin d'une chiée de Pavillon Phenix. Et vous savez de quoi il a encore plus besoin ? De stands préfabriqués pour les professionels de la profession (toutes les professions). Pourquoi s'emmerder à faire autre chose que des menus déroulant dans des menus déroulant et des carousels quand on a déjà les éléments en kit, qu'ils suffit de trois vis pour les fixer, que de toute manière on s'en fout que ça prenne la pluie puisque c'est en intérieur et que, au pire, si le client demande d'installer une douche, on paiera un stagiaire pour pomper l'eau au moment opportun ? On boucle et on va boire une bière. Y a que ça de vrai la bière.
Peut-être parce qu'on aurait envie d'être libre et de ne pas être aliéné. Parce qu'un état démocratique n'a pas envie que son peuple soit aliéné et confiné dans l'obscurité. 90% des informations qui sont parvenues à l'intérieur de votre cerveau dans les dernières 24h vous sont parvenues ou ont transité par un système informatique. N'avoir aucune maîtrise du système, c'est nécessairement se faire avoir à un moment. Exactement au moment où un serveur de la NSA s'est subtilement intercalé entre votre terminal et le serveur de GMail. Aujourd'hui, 98% des objets manufacturés vous sont parvenus par un moyen de transport utilisant un moteur à explosion. Vous n'avez pas la moindre idée de comment fonctionne le moteur d'un cargo transatlantique et vous laissez ça à des ingénieurs spécialisés (ou au garagiste). Vous avez bien raison. Parce que le moteur en question n'a pas transformé l'objet. Il est exactement le même que lorsqu'il est sorti de l'usine (si il a été bien empaqueté). Par contre, le code qui a pris votre information à la sortie du journaliste et l'a transformé en un texte aligné à gauche entrecoupé de publicités qui refreshent la page au bout de 179 secondes, ou la publicité vidéo qui s'arrête quand vous ne la regardez pas, ça, ptêt que ça pourrait être cool de savoir ce qu'ils ont tripatouillé dans votre ordi. Je voulais parler de créativité, mais tout le monde n'a pas envie d'être créatif et nous qui avions envie de l'être au travers de ce medium, nous en avons déjà pris possession.
Tout le monde doit-il apprendre à coder ? non, laissons ça aux gens qui veulent fabriquer des sites internet (et à ceux qui veulent construire des Viaducs de Millau)(mais eux ont pas attendu mon conseil) D'ailleurs, si vous avez besoin de code réel, demandez à un ami informaticien (pas à moi), il sera probablement ravi d'écrire 20 lignes de python pour répondre à votre question tellement il sera surpris que vous ne lui demandiez pas de reconfigurer Outlook pour que les .docx s'ouvrent automatiquement dans Word avec les macros activés ("comment ça se fait qu'ils ont changé ça, c'est pas du tout pratique au quotidien quand je fais ma compta !"). Tout le monde devrait-il être formé pour comprendre l'ironie de la dernière parenthèse : définitivement, oui.