Je commence par une décharge : il est chose facile de condamner le capitalisme quand on habite dans un 64m² parisien. Que je loue.
Le concept d’héritage me hérisse. D’héritage financier. De création de patrimoime que l’on constitue pour ses enfants quand on ne sera plus là. De quel droit ? Par quel favoritisme mes enfants auraient ils plus droit à profiter de la richesse que j’ai accumulé durant ma vie que les autres enfants de ma ville, de mon pays, du monde ? Parce qu’ils sont ma famille ? En tant que ma famille ils hériteront de ma culture, de mon éducation, de mes traditions, d’un style de vie. Toutes choses que de mon vivant j’aurais cœur à leur transmettre, comme les plaçant sur quelque trajectoire cométaire, qui lorsque je dispaitrais perdurera en creux de mon absence.
Ça m’ennuie de leur laisser une maison, un appartement, de l’argent. Oh, oui, j’aimerais leur en laisser un peu, pour sûr, comme on fait un beau cadeau, parce que je les aime et que ça me réjouit de leur faire plaisir. Ils font partie de ma famille après tout. Mais le reste, ils seront bien assez malins pour l’acquérir par eux-même.
Je parlais de frime l’autre jour, comme élément moteur de ma motivation professionelle. La frime, c’est la fierté que l’on expose. C’est peut être ça dont j’aimerais qu’ils héritent, un souvenir emprunt de fierté. Pas qu’eux, les autres aussi. Perdurer au-delà de la mort dans l’esprit de ceux qui vivent, et de ceux qui vivront après. De manière immatérielle. La seule manière qui ne déclenche aucun esclandre, aucun incident familial. L’immatérialité non-copyrightable de l’idée que l’on garde de celui qui est parti.
Dans ma famille on croit à l’immortalité. Ni transhumaniste, ni religieuse. Plutôt à l’immortalité comme refus catégorique de la mort. Quand elle frappe, et je ne l’avais jamais vu frapper avant l’hiver passé, je la refusais parce que je ne la connaissais pas, je la refusais par ignorance qu’elle existât autrement que par le biais de la culture, anecdote narrative, dispositif dramatique – quand elle frappe, c’est en douceur. Le passage de l’être au non-être, pas dépourvu de tristesse profonde pour autant, à la fois comme si la personne avait toujours été morte et toujours vivante également. Une trajectoire qui court en pointillés vers l’infini.
Je regarde vers le carreau au travers duquel la lumière épisodique du passage d’un véhicule dessine des lignes blanches filtrées par les persiennes et je me dis : ça ne peut fonctionner que parce que nous avons construit une relation d’indépendance cultivée, une horticulture méthodique de la confiance. Il n’y a pas de trajectoire éternelle si une dépendance existe, car à la disparition de l’être alors le rapport des forces est perturbé et la condition sine que non de la persistance du mouvement est justement que l’équilibre des forces perdure.
Constituer un patrimoine, penser son héritage matériel, il me semble que c’est déjà envisager que l’on ne perdurera que par la nécessité de l’héritier à dépendre de soi après que l’on ait disparu. Ca me semble un aveux d’echec. C’est tracer l’extrémité de son propre segment.
Je ne crois pas que l’on soit des segments. Je refuse que l’on soit des segments. Nous sommes des demi-droites.
What died didn't stay dead
You're alive, so alive
And if I didn't know better
I'd think you were singing to me now
If I didn't know better
I'd think you were still around
I know better
But I still feel you all around
I know better
But you're still around
Taylor Swift, marjorie
À Huguette, Jack et René.